名篇阅读:《羊脂球》之二--莫泊桑
Le souper à peine achevé, comme on était brisé de fatigue, on se coucha. Cependant Loiseau, qui avait observé les choses, fit mettre au lit son épouse, puis colla tant?t son oreille et tant?t son oeil au trou de la serrure, pour tacher de découvrir ce qu’il appelait : "les mystères du corridor". Au bout d’une heure environ, il entendit un fr?lement, regarda bien vite, et aper?ut Boule de suif qui paraissait plus replète encore sous un peignoir de cachemire bleu, bordé de dentelles blanches. Elle tenait un bougeoir à la main et se dirigeait vers le gros numéro tout au fond du couloir. Mais une porte, à c?té, s’entrouvrit, et, quand elle revint au bout de quelques minutes, Cornudet, en bretelles, la suivait. Ils parlaient bas, puis ils s’arrêtèrent. Boule de suif semblait défendre l’entrée de sa chambre avec énergie. Loiseau, malheureusement, n’entendait pas les paroles, mais, à la fin, comme ils élevaient la voix, il put en saisir quelques-unes. Cornudet insistait avec vivacité。 Il disait : "Voyons, vous êtes bête, qu’est-ce que ?a vous fait ?" Elle avait l’air indigné et répondit : "Non, mon cher, il y a des moments où ces choses-là ne se font pas ; et puis, ici, ce serait une honte." Il ne comprenait point, sans doute, et demanda pourquoi. Alors elle s’emporta, élevant encore le ton : "Pourquoi ? Vous ne comprenez pas pourquoi ? Quand il y a des Prussiens dans la maison, dans la chambre à c?té peut-être ?" Il se tut. cette pudeur patriotique de catin qui ne se laissait point caresser près de l’ennemi dut réveiller en son coeur sa dignité défaillante, car, après l’avoir seulement embrassée, il regagna sa porte à pas de loup. Loiseau, très allumé, quitta la serrure, battit un entrechat dans sa chambre, mit son madras, souleva le drap sous lequel gisait la dure carcasse de sa compagne qu’il réveilla d’un baiser en murmurant : "M’aimes-tu, chérie ?" Alors toute la maison devint silencieuse. Mais bient?t s’éleva quelque part, dans une direction indéterminée qui pouvait être la cave aussi bien que le grenier, un ronflement puissant, monotone, régulier, un bruit sourd et prolongé, avec des tremblements de chaudière sous pression. M. Follenvie dormait. Comme on avait décidé qu’on partirait à huit heures le lendemain, tout le monde se trouva dans la cuisine ; mais la voiture, dont la bache avait un toit de neige, se dressait solitaire au milieu de la cour, sans chevaux et sans conducteur. On chercha en vain celui-ci dans les écuries, dans les fourrages, dans les remises. Alors tous les hommes se résolurent à battre le pays et ils sortirent. Ils se trouvèrent sur la place, avec l’église au fond et, des deux c?tés, des maisons basses où l’on apercevait des soldats prussiens. Le premier qu’ils virent épluchait des pommes de terre. Le second, plus loin, lavait la boutique du coiffeur. Un autre, barbu jusqu’aux yeux, embrassait un mioche qui pleurait et le ber?ait sur ses genoux pour tacher de l’apaiser ; et les grosses paysannes dont les hommes étaient à "l’armée de la guerre", indiquaient par signes à leurs vainqueurs obéissants le travail qu’il fallait entreprendre : fendre du bois, tremper la soupe, moudre le café ; un d’eux même lavait le linge de son h?tesse, une a?eule tout impotente. Le comte, étonné, interrogea le bedeau qui sortait du presbytère. Le vieux rat d’église lui répondit : "Oh ! ceux-là ne sont pas méchants : c’est pas des Prussiens à ce qu’on dit. Ils sont de plus loin, je ne sais pas bien d’où ; et ils ont tous laissé une femme et des enfants au pays ; ?a ne les amuse pas, la guerre, allez ! Je suis s?r qu’on pleure bien aussi là-bas après les hommes ; et ?a fournira une fameuse misère chez eux comme chez nous. Ici, encore, on n’est pas trop malheureux pour le moment, parce qu’ils ne font pas de mal et qu’ils travaillent comme s’ils étaient dans leurs maisons. Voyez-vous, Monsieur, entre pauvres gens, faut bien qu’on s’aide…… C’est les grands qui font la guerre." Cornudet, indigné de l’entente cordiale établie entre les vainqueurs et les vaincus, se retira, préférant s’enfermer dans 1’auberge. Loiseau eut un mot pour rire : "Ils repeuplent." M. Carré-Lamadon eut un mot grave : "Ils réparent." Mais on ne trouvait pas le cocher. A la fin on le découvrit dans le café du village attablé fraternellement avec l’ordonnance de l’officier. Le comte l’interpella : "Ne vous avait-on pas donné l’ordre d’atteler pour huit heures ? —— Ah bien oui, mais on m’en a donné un autre depuis. —— Lequel ? —— De ne pas atteler du tout. —— Qui vous a donné cet ordre ? —— Ma foi ! le commandant prussien. —— Pourquoi ? —— Je n’en sais rien. Allez lui demander. On me défend d’atteler, moi je n’attelle pas. Voilà。 —— C’est lui-même qui vous a dit cela ? —— Non, Monsieur : c’est l’aubergiste qui m’a donné l’ordre de sa part. —— Quand ?a ? —— Hier soir, comme j’allais me coucher." Les trois hommes rentrèrent fort inquiets. On demanda M. Follenvie, mais la servante répondit que Monsieur, à cause de son asthme, ne se levait jamais avant dix heures. Il avait même formellement défendu de le réveiller plus t?t, excepté en cas d’incendie. On voulut voir l’officier, mais cela était impossible absolument, bien qu’il logeat dans l’auberge. M. Follenvie seul était autorisé à lui parler pour les affaires civiles. Alors on attendit. Les femmes remontèrent dans leurs chambres, et des futilités les occupèrent. Cornudet s’installa sous la haute cheminée de la cuisine, où flambait un grand feu. Il se fit apporter là une des petites tables du café, une canette, et il tira sa pipe qui jouissait parmi les démocrates d’une considération presque égale à la sienne, comme si elle avait servi la patrie en servant à Cornudet. C’était une superbe pipe en écume admirablement culottée, aussi noire que les dents de son ma?tre, mais parfumée, recourbée, luisante, familière à sa main, et complétant sa physionomie. Et il demeura immobile, les yeux tant?t fixés sur la flamme du foyer, tant?t sur la mousse qui couronnait sa chope ; et chaque fois qu’il avait bu, il passait d’un air satisfait ses longs doigts maigres dans ses longs cheveux gras, pendant qu’il humait sa moustache frangée d’écume. Loiseau, sous prétexte de se dégourdir les jambes, alla placer du vin aux débitants du pays. Le comte et le manufacturier se mirent à causer politique. Ils prévoyaient l’avenir de la France. L’un croyait aux d’Orléans, l’autre à un sauveur inconnu, un héros qui se révélerait quand tout serait désespéré : un Du Guesclin, une Jeanne d’Arc peut-être ? ou un autre Napoléon Ier ? Ah ! si le prince impérial n’était pas si jeune ! Cornudet, les écoutant, souriait en homme qui sait le mot des destinées. Sa pipe embaumait la cuisine. 相关资料 |