法语阅读:追忆似水年华18
– Avez-vous remarqu quelle affreuse mine il a ? dit le gnral. – Mon petit Charles ! Ah ! enfin il vient, je commenais supposer qu’il ne voulait pas me voir ! Swann aimait beaucoup la princesse des Laumes, puis sa vue lui rappelait Guermantes, terre voisine de Combray, tout ce pays qu’il aimait tant et o il ne retournait plus pour ne pas s’loigner d’Odette. Usant des formes mi-artistes, mi-galantes, par lesquelles il savait plaire la princesse et qu’il retrouvait tout naturellement quand il se retrempait un instant dans son ancien milieu – et voulant d’autre part pour lui-mme exprimer la nostalgie qu’il avait de la campagne : – Ah ! dit-il la cantonade, pour tre entendu la fois de Mme de Saint-Euverte qui il parlait et de Mme des Laumes pour qui il parlait, voici la charmante princesse ! Voyez, elle est venue tout exprs de Guermantes pour entendre le Saint Franois d’Assise de Liszt et elle n’a eu le temps, comme une jolie msange, que d’aller piquer pour les mettre sur sa tte quelques petits fruits de prunier des oiseaux et d’aubpine ;il y a mme encore de petites gouttes de rose, un peu de la gele blanche qui doit faire gmir la duchesse. C’est trs joli, ma chre princesse. – Comment, la princesse est venue exprs de Guermantes ? Mais c’est trop ! Je ne savais pas, je suis confuse, s’cria navement Mme de Saint-Euverte qui tait peu habitue au tour d’esprit de Swann. Et examinant la coiffure de la princesse : Mais c’est vrai, cela imite... comment dirais-je, pas les chataignes, non oh ! c’est une ide ravissante ! Mais comment la princesse pouvait-elle connatre mon programme ! Les musiciens ne me l’ont mme pas communiqu moi. Swann, habitu quand il tait auprs d’une femme avec qui il avait gard des habitudes galantes de langage, de dire des choses dlicates que beaucoup de gens du monde ne comprenaient pas, ne daigna pas expliquer Mme de Saint-Euverte qu’il n’avait parl que par mtaphore. Quant la princesse, elle se mit rire aux clats, parce que l’esprit de Swann tait extrmement apprci dans sa coterie, et aussi parce qu’elle ne pouvait entendre un compliment s’adressant elle sans lui trouver les graces les plus fines et une irrsistible drlerie. – H bien ! je suis ravie, Charles, si mes petits fruits d’aubpine vous plaisent. Pourquoi est-ce que vous saluez cette Cambremer, est-ce que vous tes aussi son voisin de campagne ? Mme de Saint-Euverte voyant que la princesse avait l’air content de causer avec Swann s’tait loigne. – Mais vous l’tes vous-mme, princesse. – Moi, mais ils ont donc des campagnes partout, ces gens ! Mais comme j’aimerais tre leur place ! – Ce ne sont pas les Cambremer, c’taient ses parents elle ;elle est une demoiselle Legrandin qui venait Combray. Je ne sais pas si vous savez que vous tes comtesse de Combray et que le chapitre vous doit une redevance. – Je ne sais pas ce que me doit le chapitre mais je sais que je suis tape de cent francs tous les ans par le cur, ce dont je me passerais. Enfin ces Cambremer ont un nom bien tonnant. Il finit juste temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant. – Il ne commence pas mieux, rpondit Swann. – En effet cette double abrviation !... – C’est quelqu’un de trs en colre et de trs convenable, qui n’a pas os aller jusqu’au bout du premier mot. – Mais puisqu’il ne devait pas pouvoir s’empcher de commencer le second, il aurait mieux fait d’achever le premier pour en finir une bonne fois. Nous sommes en train de faire des plaisanteries d’un got charmant, mon petit Charles, mais comme c’est ennuyeux de ne plus vous voir, ajouta-t-elle d’un ton calin, j’aime tant causer avec vous. Pensez que je n’aurais mme pas pu faire comprendre cet idiot de Froberville que le nom de Cambremer tait tonnant. Avouez que la vie est une chose affreuse. Il n’y a que quand je vous vois que je cesse de m’ennuyer. Et sans doute cela n’tait pas vrai. Mais Swann et la princesse avaient une mme manire de juger les petites choses qui avait pour effet – moins que ce ne ft pour cause – une grande analogie dans la faon de s’exprimer et jusque dans la prononciation. Cette ressemblance ne frappait pas parce que rien n’tait plus diffrent que leurs deux voix. Mais si on parvenait par la pense ter aux propos de Swann la sonorit qui les enveloppait, les moustaches d’entre lesquelles ils sortaient, on se rendait compte que c’taient les mmes phrases, les mmes inflexions, le tour de la coterie Guermantes. Pour les choses importantes, Swann et la princesse n’avaient les mmes ides sur rien. Mais depuis que Swann tait si triste, ressentant toujours cette espce de frisson qui prcde le moment o l’on va pleurer, il avait le mme besoin de parler du chagrin qu’un assassin a de parler de son crime. En entendant la princesse lui dire que la vie tait une chose affreuse, il prouva la mme douceur que si elle lui avait parl d’Odette. 相关资料 |