法语阅读:追忆似水年华15
– Mais le mieux du monde ! Et elle rit encore. Cependant tout en redressant sa taille et refroidissant sa mine, inquite encore pourtant de l’tat du prince, Mme de Gallardon dit sa cousine : – Oriane (ici Mme des Laumes regarda d’un air tonn et rieur un tiers invisible vis--vis duquel elle semblait tenir attester qu’elle n’avait jamais autoris Mme de Gallardon l’appeler par son prnom), je tiendrais beaucoup ce que tu viennes un moment demain soir chez moi entendre un quintette avec clarinette de Mozart. Je voudrais avoir ton apprciation. Elle semblait non pas adresser une invitation, mais demander un service, et avoir besoin de l’avis de la princesse sur le quintette de Mozart, comme si ’avait t un plat de la composition d’une nouvelle cuisinire sur les talents de laquelle il lui et t prcieux de recueillir l’opinion d’un gourmet. – Mais je connais ce quintette, je peux te dire tout de suite... que je l’aime ! – Tu sais, mon mari n’est pas bien, son foie..., cela lui ferait grand plaisir de te voir, reprit Mme de Gallardon, faisant maintenant la princesse une obligation de charit de paratre sa soire. La princesse n’aimait pas dire aux gens qu’elle ne voulait pas aller chez eux. Tous les jours elle crivait son regret d’avoir t prive – par une visite inopine de sa belle-mre, par une invitation de son beau-frre, par l’Opra, par une partie de campagne – d’une soire laquelle elle n’aurait jamais song se rendre. Elle donnait ainsi beaucoup de gens la joie de croire qu’elle tait de leurs relations, qu’elle et t volontiers chez eux, qu’elle n’avait t empche de le faire que par les contretemps princiers qu’ils taient flatts de voir entrer en concurrence avec leur soire. Puis faisant partie de cette spirituelle coterie des Guermantes o survivait quelque chose de l’esprit alerte, dpouill de lieux communs et de sentiments convenus, qui descend de Mrime – et a trouv sa dernire expression dans le thatre de Meilhac et Halvy – elle l’adaptait mme aux rapports sociaux, le transposait jusque dans sa politesse qui s’efforait d’tre positive, prcise, de se rapprocher de l’humble vrit. Elle ne dveloppait pas longuement une matresse de maison l’expression du dsir qu’elle avait d’aller sa soire ;elle trouvait plus aimable de lui exposer quelques petits faits d’o dpendrait qu’il lui ft ou non possible de s’y rendre. – Ecoute, je vais te dire, dit-elle Mme de Gallardon, il faut demain soir que j’aille chez une amie qui m’a demand mon jour depuis longtemps. Si elle nous emmne au thatre, il n’y aura pas, avec la meilleure volont, possibilit que j’aille chez toi ;mais si nous restons chez elle, comme je sais que nous serons seuls, je pourrai la quitter. – Tiens, tu as vu ton ami M. Swann ? – Mais non, cet amour de Charles, je ne savais pas qu’il ft l, je vais tacher qu’il me voie. – C’est drle qu’il aille mme chez la mre Saint-Euverte, dit Mme de Gallardon. Oh ! je sais qu’il est intelligent, ajouta-t-elle en voulant dire par l intrigant, mais cela ne fait rien, un Juif chez la s?ur et la belle-s?ur de deux archevques ! – J’avoue ma honte que je n’en suis pas choque, dit la princesse des Laumes. – Je sais qu’il est converti, et mme dj ses parents et ses grands-parents. Mais on dit que les convertis restent plus attachs leur religion que les autres, que c’est une frime, est-ce vrai ? – Je suis sans lumires ce sujet. Le pianiste qui avait jouer deux morceaux de Chopin, aprs avoir termin le prlude, avait attaqu aussitt une polonaise. Mais depuis que Mme de Gallardon avait signal sa cousine la prsence de Swann, Chopin ressuscit aurait pu venir jouer lui-mme toutes ses ?uvres sans que Mme des Laumes pt y faire attention. Elle faisait partie d’une de ces deux moitis de l’humanit chez qui la curiosit qu’a l’autre moiti pour les tres qu’elle ne connat pas est remplace par l’intrt pour les tres qu’elle connat. Comme beaucoup de femmes du faubourg Saint-Germain, la prsence dans un endroit o elle se trouvait de quelqu’un de sa coterie, et auquel d’ailleurs elle n’avait rien de particulier dire, accaparait exclusivement son attention aux dpens de tout le reste. partir de ce moment, dans l’espoir que Swann la remarquerait, la princesse ne fit plus, comme une souris blanche apprivoise qui on tend puis on retire un morceau de sucre, que tourner sa figure, remplie de mille signes de connivence dnus de rapports avec le sentiment de la polonaise de Chopin, dans la direction o tait Swann et si celui-ci changeait de place, elle dplaait paralllement son sourire aimant. – Oriane, ne te fache pas, reprit Mme de Gallardon qui ne pouvait jamais s’empcher de sacrifier ses plus grandes esprances sociales et d’blouir un jour le monde, au plaisir obscur, immdiat et priv, de dire quelque chose de dsagrable : il y a des gens qui prtendent que ce M. Swann, c’est quelqu’un qu’on ne peut pas recevoir chez soi, est-ce vrai ? 相关资料 |