法语阅读:追忆似水年华13
– Tiens, vous voil, mais il y a des ternits qu’on ne vous a vu, dit Swann le gnral qui, remarquant ses traits tirs et en concluant que c’tait peut-tre une maladie grave qui l’loignait du monde, ajouta : Vous avez bonne mine, vous savez ! >>pendant que M. de Braut demandait : – Comment, vous, mon cher, qu’est-ce que vous pouvez bien faire ici ? un romancier mondain qui venait d’installer au coin de son ?il un monocle, son seul organe d’investigation psychologique et d’impitoyable analyse, et rpondit d’un air important et mystrieux, en roulant l’r : – J’observe. Le monocle du marquis de Forestelle tait minuscule, n’avait aucune bordure et, obligeant une crispation incessante et douloureuse l’?il o il s’incrustait comme un cartilage superflu dont la prsence est inexplicable et la matire recherche, il donnait au visage du marquis une dlicatesse mlancolique, et le faisait juger par les femmes comme capable de grands chagrins d’amour. Mais celui de M. de Saint-Cand, entour d’un gigantesque anneau, comme Saturne, tait le centre de gravit d’une figure qui s’ordonnait tout moment par rapport lui, dont le nez frmissant et rouge et la bouche lippue et sarcastique tachaient par leurs grimaces d’tre la hauteur des feux roulants d’esprit dont tincelait le disque de verre, et se voyait prfrer aux plus beaux regards du monde par des jeunes femmes snobs et dpraves qu’il faisait rver de charmes artificiels et d’un raffinement de volupt ;et cependant, derrire le sien, M. de Palancy qui, avec sa grosse tte de carpe aux yeux ronds, se dplaait lentement au milieu des ftes en desserrant d’instant en instant ses mandibules comme pour chercher son orientation, avait l’air de transporter seulement avec lui un fragment accidentel, et peut-tre purement symbolique, du vitrage de son aquarium, partie destine figurer le tout qui rappela Swann, grand admirateur des Vices et des Vertus de Giotto Padoue, cet Injuste ct duquel un rameau feuillu voque les forts o se cache son repaire. Swann s’tait avanc, sur l’insistance de Mme de Saint-Euverte et pour entendre un air d’Orphe qu’excutait un fltiste, s’tait mis dans un coin o il avait malheureusement comme seule perspective deux dames dj mres assises l’une ct de l’autre, la marquise de Cambremer et la vicomtesse de Franquetot, lesquelles, parce qu’elles taient cousines, passaient leur temps dans les soires, portant leurs sacs et suivies de leurs filles, se chercher comme dans une gare et n’taient tranquilles que quand elles avaient marqu, par leur ventail ou leur mouchoir, deux places voisines : Mme de Cambremer, comme elle avait trs peu de relations, tant d’autant plus heureuse d’avoir une compagne, Mme de Franquetot, qui tait au contraire trs lance, trouvait quelque chose d’lgant, d’original, montrer toutes ses belles connaissances qu’elle leur prfrait une dame obscure avec qui elle avait en commun des souvenirs de jeunesse. Plein d’une mlancolique ironie, Swann les regardait couter l’intermde de piano ( Saint Franois parlant aux oiseaux >>, de Liszt) qui avait succd l’air de flte, et suivre le jeu vertigineux du virtuose, Mme de Franquetot anxieusement, les yeux perdus comme si les touches sur lesquelles il courait avec agilit avaient t une suite de trapzes d’o il pouvait tomber d’une hauteur de quatre-vingts mtres, et non sans lancer sa voisine des regards d’tonnement, de dngation qui signifiaient : Ce n’est pas croyable, je n’aurais jamais pens qu’un homme pt faire cela >>, Mme de Cambremer, en femme qui a reu une forte ducation musicale, battant la mesure avec sa tte transforme en balancier de mtronome dont l’amplitude et la rapidit d’oscillations d’une paule l’autre taient devenues telles (avec cette espce d’garement et d’abandon du regard qu’ont les douleurs qui ne se connaissent plus ni ne cherchent se matriser et disent : Que voulez-vous ! >>) qu’ tout moment elle accrochait avec ses solitaires les pattes de son corsage et tait oblige de redresser les raisins noirs qu’elle avait dans les cheveux, sans cesser pour cela d’acclrer le mouvement. De l’autre ct de Mme de Franquetot, mais un peu en avant, tait la marquise de Gallardon, occupe sa pense favorite, l’alliance qu’elle avait avec les Guermantes et d’o elle tirait pour le monde et pour elle-mme beaucoup de gloire avec quelque honte, les plus brillants d’entre eux la tenant un peu l’cart, peut-tre parce qu’elle tait ennuyeuse, ou parce qu’elle tait mchante, ou parce qu’elle tait d’une branche infrieure, ou peut-tre sans aucune raison. Quand elle se trouvait auprs de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, comme en ce moment auprs de Mme de Franquetot, elle souffrait que la conscience qu’elle avait de sa parent avec les Guermantes ne pt se manifester extrieurement en caractres visibles comme ceux qui, dans les mosaques des glises byzantines, placs les uns au-dessous des autres, inscrivent en une colonne verticale, ct d’un Saint Personnage, les mots qu’il est cens prononcer. Elle songeait en ce moment qu’elle n’avait jamais reu une invitation ni une visite de sa jeune cousine la princesse des Laumes, depuis six ans que celle-ci tait marie. Cette pense la remplissait de colre, mais aussi de fiert ;car, force de dire aux personnes qui s’tonnaient de ne pas la voir chez Mme des Laumes, que c’est parce qu’elle aurait t expose y rencontrer la princesse Mathilde – ce que sa famille ultra-lgitimiste ne lui aurait jamais pardonn – elle avait fini par croire que c’tait en effet la raison pour laquelle elle n’allait pas chez sa jeune cousine. Elle se rappelait pourtant qu’elle avait demand plusieurs fois Mme des Laumes comment elle pourrait faire pour la rencontrer, mais ne se le rappelait que confusment et d’ailleurs neutralisait et au del ce souvenir un peu humiliant en murmurant : Ce n’est tout de mme pas moi faire les premiers pas, j’ai vingt ans de plus qu’elle. >>Grace la vertu de ces paroles intrieures, elle rejetait firement en arrire ses paules dtaches de son buste et sur lesquelles sa tte pose presque horizontalement faisait penser la tte rapporte >>d’un orgueilleux faisan qu’on sert sur une table avec toutes ses plumes. Ce n’est pas qu’elle ne ft par nature courtaude, hommasse et boulotte ;mais les camouflets l’avaient redresse comme ces arbres qui, ns dans une mauvaise position au bord d’un prcipice, sont forcs de crotre en arrire pour garder leur quilibre. Oblige, pour se consoler de ne pas tre tout fait l’gale des autres Guermantes, de se dire sans cesse que c’tait par intransigeance de principes et fiert qu’elle les voyait peu, cette pense avait fini par modeler son corps et par lui enfanter une sorte de prestance qui passait aux yeux des bourgeoises pour un signe de race et troublait quelquefois d’un dsir fugitif le regard fatigu des hommes de cercle. Si on avait fait subir la conversation de Mme de Gallardon ces analyses qui en relevant la frquence plus ou moins grande de chaque terme permettent de dcouvrir la clef d’un langage chiffr, on se ft rendu compte qu’aucune expression, mme la plus usuelle, n’y revenait aussi souvent que chez mes cousins de Guermantes >>, chez ma tante de Guermantes >>, la sant d’Elzar de Guermantes >>, la baignoire de ma cousine de Guermantes >>. Quand on lui parlait d’un personnage illustre, elle rpondait que, sans le connatre personnellement, elle l’avait rencontr mille fois chez sa tante de Guermantes, mais elle rpondait cela d’un ton si glacial et d’une voix si sourde qu’il tait clair que si elle ne le connaissait pas personnellement, c’tait en vertu de tous les principes indracinables et entts auxquels ses paules touchaient en arrire, comme ces chelles sur lesquelles les professeurs de gymnastique vous font tendre pour vous dvelopper le thorax. 相关资料 |