法语阅读:追忆似水年华45

全国等级考试资料网 2023-01-30 17:40:43 95

– Je regrette cette rencontre, me dit M. de Charlus. Cet Argencourt, bien né mais mal élevé, diplomate plus que médiocre, mari détestable et coureur, fourbe comme dans les pièces, est un de ces hommes incapables de comprendre, mais très capables de détruire les choses vraiment grandes. J’espère que notre amitié le sera, si elle doit se fonder un jour, et j’espère que vous me ferez l’honneur de la tenir autant que moi à l’abri des coups de pied d’un de ces anes qui, par dés uvrement, par maladresse, par méchanceté, écrasent ce qui semblait fait pour durer. C’est malheureusement sur ce moule que sont faits la plupart des gens du monde.

– La duchesse de Guermantes semble très intelligente. Nous parlions tout à l’heure d’une guerre possible. Il para t qu’elle a là-dessus des lumières spéciales.

– Elle n’en a aucune, me répondit sèchement M. de Charlus. Les femmes, et beaucoup d’hommes d’ailleurs, n’entendent rien aux choses dont je voulais parler. Ma belle-s ur est une femme charmante qui s’imagine être encore au temps des romans de Balzac où les femmes influaient sur la politique. Sa fréquentation ne pourrait actuellement exercer sur vous qu’une action facheuse, comme d’ailleurs toute fréquentation mondaine. Et c’est justement une des premières choses que j’allais vous dire quand ce sot m’a interrompu. Le premier sacrifice qu’il faut me faire – j’en exigerai autant que je vous ferai de dons – c’est de ne pas aller dans le monde. J’ai souffert tant t de vous voir à cette réunion ridicule. Vous me direz que j’y étais bien, mais pour moi ce n’est pas une réunion mondaine, c’est une visite de famille. Plus tard, quand vous serez un homme arrivé, si cela vous amuse de descendre un moment dans le monde, ce sera peut-être sans inconvénients. Alors je n’ai pas besoin de vous dire de quelle utilité je pourrai vous être. Le Sésame de l’h tel Guermantes et de tous ceux qui valent la peine que la porte s’ouvre grande devant vous, c’est moi qui le détiens. Je serai juge et entends rester ma tre de l’heure.

Je voulus profiter de ce que M. de Charlus parlait de cette visite chez Mme de Villeparisis pour tacher de savoir quelle était exactement celle-ci, mais la question se posa sur mes lèvres autrement que je n’aurais voulu et je demandai ce que c’était que la famille Villeparisis.

– C’est absolument comme si vous me demandiez ce que c’est que la famille : rien me répondit M. de Charlus. Ma tante a épousé par amour un M. Thirion, d’ailleurs excessivement riche, et dont les s urs étaient très bien mariées et qui, à partir de ce moment-là, s’est appelé le marquis de Villeparisis. Cela n’a fait de mal à personne, tout au plus un peu à lui, et bien peu ! Quant à la raison, je ne sais pas ; je suppose que c’était, en effet, un monsieur de Villeparisis, un monsieur né à Villeparisis, vous savez que c’est une petite localité près de Paris. Ma tante a prétendu qu’il y avait ce marquisat dans la famille, elle a voulu faire les choses régulièrement, je ne sais pas pourquoi. Du moment qu’on prend un nom auquel on n’a pas droit, le mieux est de ne pas simuler des formes régulières.

Mme de Villeparisis, n’étant que Mme Thirion, acheva la chute qu’elle avait commencée dans mon esprit quand j’avais vu la composition mêlée de son salon. Je trouvais injuste qu’une femme dont même le titre et le nom étaient presque tout récents p t faire illusion aux contemporains et d t faire illusion à la postérité grace à des amitiés royales. Mme de Villeparisis redevenant ce qu’elle m’avait paru être dans mon enfance, une personne qui n’avait rien d’aristocratique, ces grandes parentés qui l’entouraient me semblèrent lui rester étrangères. Elle ne cessa dans la suite d’être charmante pour nous. J’allais quelquefois la voir et elle m’envoyait de temps en temps un souvenir. Mais je n’avais nullement l’impression qu’elle f t du faubourg Saint-Germain, et si j’avais eu quelque renseignement à demander sur lui, elle e t été une des dernières personnes à qui je me fusse adressé.

Actuellement, continua M. de Charlus, en allant dans le monde, vous ne feriez que nuire à votre situation, déformer votre intelligence et votre caractère. Du reste il faudrait surveiller, même et surtout, vos camaraderies. Ayez des ma tresses si votre famille n’y voit pas d’inconvénient, cela ne me regarde pas et même je ne peux que vous y encourager, jeune polisson, jeune polisson qui allez avoir bient t besoin de vous faire raser, me dit-il en me touchant le menton. Mais le choix des amis hommes a une autre importance. Sur dix jeunes gens, huit sont de petites fripouilles, de petits misérables capables de vous faire un tort que vous ne réparerez jamais. Tenez, mon neveu Saint-Loup est à la rigueur un bon camarade pour vous. Au point de vue de votre avenir, il ne pourra vous être utile en rien ; mais pour cela, moi je suffis. Et, somme toute, pour sortir avec vous, aux moments où vous aurez assez de moi, il me semble ne pas présenter d’inconvénient sérieux, à ce que je crois. Du moins, lui c’est un homme, ce n’est pas un de ces efféminés comme on en rencontre tant aujourd’hui qui ont l’air de petits truqueurs et qui mèneront peut-être demain à l’échafaud leurs innocentes victimes. (Je ne savais pas le sens de cette expression d’argot : truqueur . Quiconque l’e t connue e t été aussi surpris que moi. Les gens du monde aiment volontiers à parler argot, et les gens à qui on peut reprocher certaines choses à montrer qu’ils ne craignent nullement de parler d’elles. Preuve d’innocence à leurs yeux. Mais ils ont perdu l’échelle, ne se rendent plus compte du degré à partir duquel une certaine plaisanterie deviendra trop spéciale, trop choquante, sera plut t une preuve de corruption que de na veté.) Il n’est pas comme les autres, il est très gentil, très sérieux.

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