法语阅读:追忆似水年华14
Or, la princesse des Laumes, qu’on ne se serait pas attendu voir chez Mme de Saint-Euverte, venait prcisment d’arriver. Pour montrer qu’elle ne cherchait pas faire sentir dans un salon, o elle ne venait que par condescendance, la supriorit de son rang, elle tait entre en effaant les paules l mme o il n’y avait aucune foule fendre et personne laisser passer, restant exprs dans le fond, de l’air d’y tre sa place, comme un roi qui fait la queue la porte d’un thatre tant que les autorits n’ont pas t prvenues qu’il est l ;et, bornant simplement son regard – pour ne pas avoir l’air de signaler sa prsence et de rclamer des gards – la considration d’un dessin du tapis ou de sa propre jupe, elle se tenait debout l’endroit qui lui avait paru le plus modeste (et d’o elle savait bien qu’une exclamation ravie de Mme de Saint-Euverte allait la tirer ds que celle-ci l’aurait aperue), ct de Mme de Cambremer qui lui tait inconnue. Elle observait la mimique de sa voisine mlomane, mais ne l’imitait pas. Ce n’est pas que, pour une fois qu’elle venait passer cinq minutes chez Mme de Saint-Euverte, la princesse des Laumes n’et souhait, pour que la politesse qu’elle lui faisait comptat double, se montrer le plus aimable possible. Mais par nature, elle avait horreur de ce qu’elle appelait les exagrations >>et tenait montrer qu’elle n’avait pas >>se livrer des manifestations qui n’allaient pas avec le genre >>de la coterie o elle vivait, mais qui pourtant d’autre part ne laissaient pas de l’impressionner, la faveur de cet esprit d’imitation voisin de la timidit que dveloppe, chez les gens les plus srs d’eux-mmes, l’ambiance d’un milieu nouveau, ft-il infrieur. Elle commenait se demander si cette gesticulation n’tait pas rendue ncessaire par le morceau qu’on jouait et qui ne rentrait peut-tre pas dans le cadre de la musique qu’elle avait entendue jusqu’ ce jour, si s’abstenir n’tait pas faire preuve d’incomprhension l’gard de l’?uvre et d’inconvenance vis--vis de la matresse de la maison : de sorte que pour exprimer par une cote mal taille >>ses sentiments contradictoires, tantt elle se contentait de remonter la bride de ses paulettes ou d’assurer dans ses cheveux blonds les petites boules de corail ou d’mail rose, givres de diamant, qui lui faisaient une coiffure simple et charmante, en examinant avec une froide curiosit sa fougueuse voisine, tantt de son ventail elle battait pendant un instant la mesure, mais, pour ne pas abdiquer son indpendance, contretemps. Le pianiste ayant termin le morceau de Liszt et ayant commenc un prlude de Chopin, Mme de Cambremer lana Mme de Franquetot un sourire attendri de satisfaction comptente et d’allusion au pass. Elle avait appris dans sa jeunesse caresser les phrases, au long col sinueux et dmesur, de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur dpart, bien loin du point o on avait pu esprer qu’atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet cart de fantaisie que pour revenir plus dlibrment – d’un retour plus prmdit, avec plus de prcision, comme sur un cristal qui rsonnerait jusqu’ faire crier – vous frapper au c?ur. Vivant dans une famille provinciale qui avait peu de relations, n’allant gure au bal, elle s’tait grise dans la solitude de son manoir, ralentir, prcipiter la danse de tous ces couples imaginaires, les grener comme des fleurs, quitter un moment le bal pour entendre le vent souffler dans les sapins, au bord du lac, et y voir tout d’un coup s’avancer, plus diffrent de tout ce qu’on a jamais rv que ne sont les amants de la terre, un mince jeune homme la voix un peu chantante, trangre et fausse, en gants blancs. Mais aujourd’hui la beaut dmode de cette musique semblait dfrachie. Prive depuis quelques annes de l’estime des connaisseurs, elle avait perdu son honneur et son charme et ceux mmes dont le got est mauvais n’y trouvaient plus qu’un plaisir inavou et mdiocre. Mme de Cambremer jeta un regard furtif derrire elle. Elle savait que sa jeune bru (pleine de respect pour sa nouvelle famille, sauf en ce qui touchait les choses de l’esprit sur lesquelles, sachant jusqu’ l’harmonie et jusqu’au grec, elle avait des lumires spciales) mprisait Chopin et souffrait quand elle en entendait jouer. Mais loin de la surveillance de cette wagnrienne qui tait plus loin avec un groupe de personnes de son age, Mme de Cambremer se laissait aller des impressions dlicieuses. La princesse des Laumes les prouvait aussi. Sans tre par nature doue pour la musique, elle avait reu il y a quinze ans les leons qu’un professeur de piano du faubourg Saint-Germain, femme de gnie qui avait t la fin de sa vie rduite la misre, avait recommenc, l’age de soixante-dix ans, donner aux filles et aux petites-filles de ses anciennes lves. Elle tait morte aujourd’hui. Mais sa mthode, son beau son, renaissaient parfois sous les doigts de ses lves, mme de celles qui taient devenues pour le reste des personnes mdiocres, avaient abandonn la musique et n’ouvraient presque plus jamais un piano. Aussi Mme des Laumes put-elle secouer la tte, en pleine connaissance de cause, avec une apprciation juste de la faon dont le pianiste jouait ce prlude qu’elle savait par c?ur. La fin de la phrase commence chanta d’elle-mme sur ses lvres. Et elle murmura c’est toujours charmant >>, avec un double ch au commencement du mot qui tait une marque de dlicatesse et dont elle sentait ses lvres si romanesquement froisses comme une belle fleur, qu’elle harmonisa instinctivement son regard avec elles en lui donnant ce moment-l une sorte de sentimentalit et de vague. Cependant Mme de Gallardon tait en train de se dire qu’il tait facheux qu’elle n’et que bien rarement l’occasion de rencontrer la princesse des Laumes, car elle souhaitait lui donner une leon en ne rpondant pas son salut. Elle ne savait pas que sa cousine ft l. Un mouvement de tte de Mme de Franquetot la lui dcouvrit. Aussitt elle se prcipita vers elle en drangeant tout le monde ;mais dsireuse de garder un air hautain et glacial qui rappelat tous qu’elle ne dsirait pas avoir de relations avec une personne chez qui on pouvait se trouver nez nez avec la princesse Mathilde, et au-devant de qui elle n’avait pas aller car elle n’tait pas sa contemporaine >>, elle voulut pourtant compenser cet air de hauteur et de rserve par quelque propos qui justifiat sa dmarche et forat la princesse engager la conversation ;aussi une fois arrive prs de sa cousine, Mme de Gallardon, avec un visage dur, une main tendue comme une carte force, lui dit : Comment va ton mari ? >>de la mme voix soucieuse que si le prince avait t gravement malade. La princesse clatant d’un rire qui lui tait particulier et qui tait destin la fois montrer aux autres qu’elle se moquait de quelqu’un et aussi se faire paratre plus jolie en concentrant les traits de son visage autour de sa bouche anime et de son regard brillant, lui rpondit : 相关资料 |